Louis Delattre

Louis DELATTRE

par Clément CONREUR

 

Ce vendredi 12 décembre 2008, le C.H.A.F. a commémoré le septantième anniversaire de la disparition de l’écrivain fontainois, le Docteur Louis Delattre (Fontaine-l’Évêque, 1870
Nous reproduisons un texte dû à la plume de cet autre médecin d’origine fontainoise, le Docteur Clément Conreur (Fontaine-l’Évêque, 1904 Landelies, 1999) ;
il y rend hommage à son compatriote qu’il avait fréquenté à maintes reprises et dont les familles par ailleurs
se connaissaient déjà.
L’un et l’autre reconnus professionnellement seront aussi particulièrement appréciés dans un autre domaine,
le premier pour son activité littéraire débordante, le second pour son art pictural consommé ; nous consacrerons
plus tard dans nos pages une notice biographique au Docteur Conreur.
Parmi les souvenirs qui vont être ici égrenés, il y a cette vieille soupière offerte par la mère de Delattre à celle
de Conreur, toujours présente dans la famille de ce dernier ; nous avons pu en prendre un cliché dont nous vous faisons bénéficier.
Quelques légères méprises se sont glissées dans ces intéressants paragraphes, mais nous ne les relèverons pas afin de ne pas abîmer la fraîcheur du témoignage ainsi livré.

La Rédaction.

Un illustre Fontainois tel que je l’ai connu, LOUIS DELATTRE


… Mais qui le connaît ?
Pour moi, tout au long de ma vie, et encore aujourd’hui, quand je pense (souvent) à mon illustre compatriote, c’est Monsieur Louis, ainsi l’appelait ma mère dont il était l’aîné de dix ans.
Elle l’avait connu et fréquenté dans sa jeunesse : elle était en admiration dès son adolescence pour ce jeune monsieur Louis, alors étudiant en médecine à Bruxelles ; un jeune homme timide portant lorgnons très épais à cause d’une forte myopie ; mes grands-parents maternels étaient les fermiers de
La Casse, petite
ferme aux confins de Fontaine, proche
du bois de Goutroux, où les Delattre avaient une chasse.
Du reste La Casse
était le wallon de « la chasse ». La maison de mon grand-père maternel, Alexandre Barriaux, était donc propice aux attentes, aux petits repos, aux casse-croûte, d’autant plus que le petit crolé Barriaux, ex-clarinettiste virtuose du Premier Régiment des Guides, les délectait souvent du fameux concerto pour clarinette de Weber.
Mais tout ceci n’est pas mon vrai propos qui est de vous parler de l’homme et de l’écrivain.
Certes, déjà à cette époque quand il terminait sa médecine, il était un jeune homme pas comme tous les autres, qui
se promenait avec des livres, qui battait la campagne et explorait les jardins, étudiant les plantes et les animaux, qui fréquentait les petites gens et les artisans, les interrogeait sur leurs problèmes, leurs drames familiaux… un jeune homme sociable et familier, mais timide et qui commençait à écrire des livres.
J’ai chez moi une belle vieille soupière ornée de fleurs de pensées bleues et jaunes, cadeau de Madame Delattre,
la mère, à la mienne : c’est à l’intérieur de cette soupière qu’avait été déposée la première publication importante
de Monsieur Louis : Contes à Saint Christophe, patron de mon village.


J’avais dévoré ces histoires simples parmi lesquelles l’une m’impressionne encore aujourd’hui et qui situait à Fontaine et Leernes, la légendaire histoire de Saint Nicolas et des trois enfants Fontainois bien entendu – qui, désertant la rue (toujours vivante) des Culots, étaient partis à l’aventure dans les bois de Leernes et d’Aulne, s’étaient allés, égarés
et perdus et, ayant aperçu une lumière, étaient allés frapper à la porte… du boucher pour demander secours, avaient été accueillis, mais proprement égorgés et placés dans un saloir comme simples porcelets.
Ce n’est qu’après sept années que Saint Nicolas, passant par là, frappa à la porte du même boucher, alla quérir
de la viande, exigeant celle qui depuis sept ans attendait dans la saumure…
Le boucher hésitait évidemment, mais le grand Saint Nicolas souleva lui-même le couvercle et… ressuscita
les trois enfants.
Le premier dit : J’ai bien dormi,
Le second :
Et moi aussi, quant au troisième, il dit en soupirant : Je croyais être au Paradis.
Inutile de décrire la joie des parents au retour des enfants…
Louis Delattre s’avérait dès lors brillant conteur resté si proche de sa terre natale.
Il y avait d’autres contes aussi simples en apparence, mais profonds de sens : chère Christine de Landelies
, chère Marie Dureulx.


Comme il est agréable pour un vieux Fontainois de retrouver sous une plume si alerte, si délicate, tout le parfum
d’une ville qu’on a connu au cours de son enfance : le château, son parc et sa grande grille ; on regardait aller et venir le personnel alors qu’il était défendu d’y entrer… et la belle jeune fille qu’on n’apercevait que comme un fantôme
et qu’on ne savait approcher, et la calme rue du Préau et les chemins des Gaulx et des Metz et la ferme du Grand Colas,
et l’atelier du vieux Monsieur Bourguignon que, écolier, je regardais travailler au travers des fenêtres poussiéreuses
faisant face à l’église d’En-bas dont la porte s’orne d’un fameux saint Christophe, à d’infatigables crucifix, jamais deux les mêmes, tous souffrants, tordus de douleur sur leur bois de supplice et qui étaient destinés à orner des cercueils.
(Je me rends compte aujourd’hui de la valeur de ces oeuvres d’art uniques !).
Il était né à Fontaine en 1870. Quand je commençai à lire ses livres, il existait encore bien des endroits, des rues,
des fermes, le château et même des personnages dont il faisait mention dans ses textes et cela m’intéressait prodigieusement : Avril, Le Roman du chien et de l’enfant, Carnets d’un médecin de village, etc.
Les années ont passé.
Il s’était installé à Bruxelles et fut chargé de missions médico-sociales importantes, y compris celle de médecin
de prison dans la capitale, à l’inspection de l’hygiène, à la Croix-Rouge.
C’est à ce dernier titre que je l’ai fréquenté la dernière fois.
C’est moi (on l’a oublié sans doute) qui ai créé de toute pièce un comité et un siège de la Croix-Rouge, en 1929
à Montigny-le-Tilleul et j’ai participé activement au secourisme lors des bombardements de la guerre de 40.
Donc en 1929, pour l’inauguration, j’ai invité mon compatriote et ami dont j’étais bien fier, à venir donner
une conférence qui se déroula au Foyer montagnard
, aujourd’hui désaffecté.
Il parla longuement de l’hygiène culinaire et des vertus des diverses légumineuses.
Il était expert en matière gastronomique peut-être avec moins de panache
et d’emphase qu’un autre écrivain gastronome, Maurice des Ombiaux que j’ai beaucoup fréquenté aussi.
On fit un souper mémorable chez moi.
Il était plus gourmet que gourmand, mais très connaisseur en cuisine : il tenait cela de sa mère, amie de la mienne, beaucoup plus jeune, de trente années, et qui, comme Sido la mère de la grande Colette, était experte dans l’art
de confectionner des confitures remarquables.
En nous quittant, il offrit à ma femme et moi son dernier livre,
Vers luisants, bourré de pensées et de réflexions sentencieuses sur les hommes et sur la vie (je le recherche dans mon fourbi !).
Mais, au cours d’une sinistre soirée de garde à l’asile de Dave, j’entendis l’I.N.R. annoncer par flash spécial le décès
de l’homme que j’admirais depuis mon enfance et dont je reste si fier qu’il fut Fontainois.
C’était le 18 décembre 1938, il mourait en quelques heures d’un foudroyant oedème pulmonaire, au retour d’un voyage en Ardenne où il était là aussi allé prêcher la bonne croisade de la santé.
A 68 ans, il était loin de paraître son âge ; il était resté riche de jeune curiosité dans tous les domaines contemporains du monde et de la société.
Il m’avait dit que sa bonne santé et sa vitalité venaient du fait qu’il ne connaissait pas, ne voulait pas connaître l’inquiétude et que sa joie de vivre était la force même de sa personnalité.
D’ailleurs ses écrits témoignent à chaque page d’une tranquille bonhomie et d’optimisme.
Comment aurait-il pu en être autrement pour cet homme, dès son enfance familiarisé avec sa terre natale, ses paysans, leurs réalités, leurs sentiments parfois si élevés.
Parlant de ses contes et romans, voici les termes d’un grand écrivain belge, Georges Marlow, et qui montreront que ce que je dis de Monsieur Louis ne relève ni de l’exagération ni du parti-pris.
Il évoque la tenace odeur d’humus qu’exhalent aussi bien ses romans et ses contes, que ses ouvrages scientifiques :
d’où aussi leur philosophie tendre et narquoise, empruntée à n’en pas douter au dieu Pan lui-même, qu’en païen
intégral il conviait de temps en temps à sa table autour d’un lièvre à la royale, d’un Musigny chambré à point et
d’une salade de son cru.
C’est (…) aux conseils et aux leçons de l’immortel chèvre-pied qu’il doit entre autres de connaître les vertus des simples,
le dit des oiseaux et des petites gens, la succulence insoupçonnée de certains régimes, les sortilèges de maints vins ignorés et le sens caché des saisons qui se donnaient rendez-vous dans son
Petit Verger tout retentissant de rires d’enfants.
Ajouterai-je à ce beau texte, pour éviter tout malentendu, que Monsieur Louis ne souhaitait pas que l’on chambrât
le bourgogne autrement qu’en le laissant attendre quelques longues minutes servi.
Et qu’au surplus il a toujours souligné la mésentente du vin avec… une salade !
Pleinement satisfait de sa condition humaine, il a su mettre son coeur généreux et sa puissance de travail au service
des hommes (même des prisonniers de droit commun).
Fortement épris de son métier, pendant plus de cinquante ans par ses écrits, sa parole, ses activités, il aura pansé
les blessures morales et physiques, conseillé, traité, réglé par la même hygiène alimentaire et charmé son monde
par sa gentillesse et sa poésie.
Mais il me faut vous citer quelques lignes empruntées au philosophe Frederic Nietzsche, qui sont l’épigraphe
de Delattre pour son livre Carnets d’un médecin de campagne (évidemment le Docteur Rose, c’est lui-même) :
Le plus haut point de culture d’un médecin n’est pas atteint quand il connaît les méthodes modernes, qu’il y est exercé
et qu’il sait faire des conclusions rapides par quoi les diagnosticiens sont célèbres, il lui faut en outre avoir une éloquence
qui s’accommode à chaque individu et lui tire le coeur du ventre.
Je lui avais fait part de l’influence qu’avait eue sur moi ce texte, dans mes dispositions à pratiquer la psychiatrie et
à écrire… il m’avait mis en garde : peur de la contagion…
Quelques réflexions pour conclure.
Louis Delattre a écrit une bonne trentaine de livres dont je peux vous communiquer la liste si vous le souhaitez.
Louis Delattre était membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises.
Il n’a jamais voulu monter
à Paris, mais son roman La loi de Péché a été édité par le Mercure de France et
c’est du même Mercure que j’ai extrait le texte de Marlow cité plus haut.


Il a été bien plus coté et connu à l’étranger que dans son propre pays. On n’est jamais roi dans son pays, c’est un proverbe.
Mais au départ cela tient à la psychologie de la ville de Fontaine-l’Evêque, une certaine ambiance politico-philosophique de l’époque que je ne veux pas évoquer ici.
Vous pouvez voir à Fontaine sur la placette Frère-Orban (ce qui en soi-même est significatif) que s’élève une petite stèle assez austère et peu visible : elle porte l’effigie de l’écrivain.
Merci au bourgmestre de l’époque, Monsieur Parée, d’avoir contribué à cela et à la manifestation du centenaire
de Louis Delattre en 1970.
Il y eut un gentil récital de Lola Bobesco et son orchestre, auquel se pressaient beaucoup de Bruxellois et peu
de Fontainois.
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur cette question : les lettres françaises de Belgique sont-elles françaises au sens large du mot, ou bien une petite littérature régionale presque folklorique.
Il serait grand temps d’établir qu’elles ne sont pas plus régionales et restreintes dans leur envergure que les oeuvres d’un Provençal ou d’un Breton ne le sont au regard de la langue française.
Ce n’est pas sans motif que Charles Plisnier a eu le prix Goncourt.
Enfin, nous savons bien que quiconque sort un peu de l’ordinaire, soit par son originalité, sa fantaisie ou même
sa compétence se sent, le plus souvent, immédiatement l’objet d’une certaine déférence ou d’un ostracisme
plus ou moins apparent.
D’autres pratiquent l’ignorance.
Ils se sentent amoindris par le grandissement d’un autre ; souvent ils croient se grandir, eux, en diminuant le voisin.
Et puis il y a les cyniques qui critiquent sans avoir vu ni lu.
Mais il vaut mieux voir tout cela avec une bonhomie souriante… comme Monsieur Louis.

N.D.L.R. La fontaine à laquelle le Docteur Conreur fait allusion a disparu, mais est en passe de revivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait revue N° 11