Le gazomètre de Fontaine-l’Évêque

Le gazomètre
de Fontaine-l’Évêque
un témoin du passé
à découvrir

par Roland POLIART

Vestige redécouvert en 1990 dans les dépendances de Mr Lecocq, propriétaire du magasin de maroquinerie au coin
de la rue du Marché et la Grand-rue à Fontaine-l’Évêque.


Celui-ci, après obligation par la ville, de réparer le mur extérieur situé dans la rue de l’Hospitau et entourant
le « gazomètre », proposa à la ville d’acquérir ce vestige pour le franc symbolique, en vue de le restaurer.
Il avait connaissance qu’il s’agissait actuellement d’une construction unique au monde.
Considérant que cette découverte constituait un témoignage exceptionnel du passé, lors de la séance du 27 mars 1990,
le conseil communal au grand complet (21 membres présents) accepte à l’unanimité, la cession du gazomètre par le propriétaire du bien, Henry Lecocq, pour le franc symbolique mais avec le souhait d’envisager sa restauration.

 

Des contacts furent donc établis avec la Société Electrabel et un projet de rénovation fut présenté à la Région Wallonne
et à l’Europe pour recevoir un financement dans le cadre des Fonds structurels du Feder (Objectif 1).
Après plusieurs années de travaux, le gazomètre fut inauguré le 11 septembre 1999 en présence de Mr G. Rovillard, bourgmestre, Mr J-C Van Cauwenberghe Vice Premier Ministre, Ministre et un représentant de la société Electrabel.
C’est donc à la participation financière de Feder, de la région Wallonne, de la société Electrabel et les fonds propres
de la ville que cette réalisation exceptionnelle et unique en Belgique fut rendue possible.
Cette construction, en briques à l’intérieur, en forme de sphère tronquée (cuve souterraine de 10/11 mètres
de profondeur) et enchâssée dans un mur en moellons d’une épaisseur de 1,50 mètre destiné à protéger le quartier
d’une éventuelle explosion.
Ces pierres provenaient sans doute de la démolition du donjon, en 1828, situé dans la cour du château.
L’ouvrage était surmonté d’une calotte percée par un orifice rond et dépassant de 2 mètres environ le niveau du sol.

Une cloche en bois de 400 m3 recouverte de tôle de faible épaisseur était suspendue à un système de poulies
et contrepoids afin d’équilibrer le poids de la cloche et ainsi régulariser la pression du gaz contenu dans cette cloche.
Le bas de cette cuve plongeait dans une fosse remplie d’eau servant de joint d’étanchéité pour le gaz.
L’intérieur de cette construction avait été complètement remplit de détritus de toutes sortes qu’il a fallu vider
avant tous travaux de restauration.
Une cinquantaine de camions de 13 tonnes ont été nécessaires au dégagement de cet espace.
Dans ce dépotoir on a pu y retrouver différentes terres ainsi que des ustensiles et objets de toutes sortes tels que bec de gaz, bougeoir, ardoises, robinet, terre noire organique, terres contenant de la chaux dégageant une odeur ammoniacale, des résidus de fours et des épurateurs, des débris de tuyauterie en grès bleuté, brunâtre et en terre cuite, des céramiques avec trace de goudron, des carreaux percés de trous (filtres d’épuration).
Des briques réfractaires dont l’une porte la marque « Produits réfractaires de Saint-Ghislain »; usine existant toujours actuellement.
On y a même trouvé un casque à pointe allemand.
Au sol et dans le centre de cette cloche, s’élève un tronc conique (4 m de haut) en briques, supportant les canalisations d’arrivée et de distribution du gaz.
Ces tuyaux sont placés verticalement et distant de 64 cm.
Cette cloche à gaz faisait partie de la première usine à gaz de Fontaine-l’Évêque installée par Pierre Camille Montigny, inventeur dans l’âme, fabriquant d’armes, né le 2 janvier 1793 et décédé dans sa ville natale le 10 septembre 1861.
Il était marié à Catherine Leroy dont il associa le nom pour marquer ses toutes premières productions de cartouches
pour ses armes brevetées (Leroy-Montigny).
Il apprend d’ abord le métier de ferronnier avant d’acquérir le goût d’arquebusier chez son frère aîné Jean-Joseph Montigny ou Joseph-Nicolas Montigny (1)habitant Ixelles (armurier convaincu).
Installé à Fontaine, il sera un fabricant de poudre, de capsules fulminantes, de cartouches papier à balles de plomb
ou de cuivre, des pistolets de salon, des fusils « double et simple ».
Le 25 novembre 1840, il prit également un brevet pour un ventilateur sans palettes, propre à renouveler l’air
dans les houillères, fonderies et forges.
Le 30 décembre 1840 un brevet d’invention est lancé pour un système perfectionné de culasse mobile à friction applicable aux armes à feu portatives initialement à silex ou à percussion ainsi que la mise à feu par de nouvelles amorces.
Son fils François Camille Montigny (1824-1864) ayant hérité de l’esprit inventif de son père et, conjointement,
tous les deux ils vont poursuivre, à Fontaine, les inventions et les améliorations des précédents brevets.
La famille sera rendue célèbre grâce à son fusil et à sa mitrailleuse.
Les « Montigny » étaient avant tout, inventeurs dans l’âme, bien plus que commerçants.
L’autorisation d’installer une usine à gaz de houille pour éclairer son atelier lui avait été accordée par arrêté royal
du roi de Hollande, Guillaume Premier (2) le 27 septembre 1827.
Par la même occasion il lui était également possible de distribuer son gaz, aux particuliers de la ville qui en feraient
la demande.
Mr Montigny réalisa lui-même son projet d’usine à gaz avec l’appui financier du Banquier Audent.
Vu le succès de cette installation, Mr Montigny alimenta d’autres ateliers de la place (Clouterie Mécanique) et une partie des réverbères de la ville ainsi que le château de Haussy en 1844.

Le pont de Westminster à Londres fut éclairé en 1813, la rue Neuve et la Monnaie à Bruxelles en 1819, Berlin en 1826, Gand en 1827, Fontaine en 1834, Louvain en 35, Tournai et Charleroi en 1938, Namur et Paris en 1939.
Cette autorisation place Fontaine-l’Évêque dans les trois premières villes à être éclairées au gaz de ville, la première étant Bruxelles et l’autre Gand.
Cette usine avait ses ateliers à l’étage, au rez-de-chaussée et dans les caves (2 étages) ainsi qu’à l’extérieur
pour le gazomètre.


La production de gaz de houille s’obtient par chauffage de charbon bitumineux dans une chambre de carbonisation
en fonte, plus tard en briques réfractaires, sous atmosphère sans air. (Cornue).

Le méthane libéré au cours de ce processus est débarrassé du goudron, de l’ammoniaque, du benzène et d’autres composants indésirables en le faisant passer à travers une nappe d’eau (bassin d’épuration et filtres d’épuration),
avant d’être acheminé et emmagasiné vers le gazomètre.
Monsieur Montigny avait d’ abord installé en sous-sol un four se prolongeant vers une calebasse qui était un premier récipient à gaz se trouvant à l’arrière du bâtiment.
Durant sept ans cet atelier resta sans doute à usage privé et expérimental.
Vu le résultat positif de cette production de gaz de houille, Mr Montigny passa à la réalisation d’une usine à gaz
plus importante et plus performante destinée à l’éclairage de la ville et de ses industries.
Il installa quatre fours (cornues), avec bac à eau et filtres à l’emplacement du jardin actuel.
D’ après les dires de l’ancien propriétaire Mr Lecocq, ces fours étaient alimentés avec du charbon venant du charbonnage du Pétria ou puits numéro 1 et déversé par le soupirail situé côté Grand-rue.
Le transport du charbon s’effectuait à la brouette ou au barot.(3)
Ce charbon stocké dans la cave était alors amené aux fours par wagonnets vers une salle située sous le jardin actuel.
Lors du démantèlement de l’usine cette salle fut recouverte de terre arable afin d’en réaliser un potager.
Dans la cave et à l’intérieur de la cloche on peut y remarquer des amorces de tunnel, tous deux se dirigeant vers le sous-sol du potager (fabrication du gaz et filtres).

Dans la cave, une communication avec les maisons contiguës devait exister vu les traces d’une partie murée.
Le 8 mai 1883, les bâtiments de la Grand-rue et de la rue du Marché sont vendus à Célestin Lecocq et à son épouse Wanderpepen.
L’usine sera démolie sauf la maçonnerie du gazomètre qui servira de dépotoir, ce qui le préservera de sa détérioration dans le temps.
Pour raison de sécurité et vu la demande grandissante en gaz un autre gazomètre fut installé dans les années 1880
à la rue du Hanois entre les usines Dubois (Prochimic) et la clouterie Otlet qui bénéficia immédiatement de l’éclairage au gaz pour ses ateliers.


Il était situé derrière la gare avec raccordement au chemin de fer pour la fourniture du charbon gras venant du Pétria
et construit sur l’emplacement des terrains de la ferme du Hanois (lieu dit Malplacé).
Ce gazomètre n’était plus à cloche suspendue enfermée mais des cuves en tôle forte placées au-dessus du sol, à l’air libre avec un joint d’eau à la base (gazomètre de Pauwels).
Le premier initiateur de cette usine fut Félix Hermans suivi de Charles Monseu et Guillaume Meulemans. Monsieur Dassonville en fut le dernier responsable.

La distribution du gaz se répandit dans toute la ville de Fontaine-l’ Evêque qui comptait 165 lanternes au gaz en 1896
et 239 en 1913, point culminant pour Fontaine de l’éclairage au gaz.
Le gaz servit également pour les chauffages de tous types ainsi que pour certains moteurs.
Ne pas oublier les allumeurs de réverbères qui passaient 2 fois par jour avec leur petite échelle allumer et éteindre
les réverbères.

Une exposition évoquant le bicentenaire de la naissance de P. C. Montigny (1793 – 1861) fut organisée, dans la chapelle du château, du 7 au 13-10-1993 et une publication commémorative due à Mrs Daniel Decoster et Michel Mairiaux fut émise à cette occasion.
Visite de ce musée sur rendez-vous. Voir administration communale.

(1) Les deux noms ne désignent qu’une seule et même personne. Il serait né vers le milieu du 18ème siècle.
(2) A remarquer que la canalisation de la Sambre par « écluse à sas » (1ère en Belgique) fut adjugée le 2 juillet 1825
–               et mise en service le 1
er janvier 1829 par le même roi Guillaume de Hollande.
(3) Barot : char ou charrette servant au transport de matériaux et tracté par un cheval.

Sources

  • L’Art de l’éclairage par Louis Figuier, 1882.
  • L’Histoire de la houille par Marius Renard, 1931.
  • P.-C. Montigny 1827 le gaz à Fontaine-l’Evêque par Daniel Decoster et Michel
  • Mairiaux, 1993.
  • Prestige de l’armurerie. Une dynastie d’Arquebusiers mécaniciens : les Montigny.
  • Etude et contrat concernant l’installation d’une usine à gaz de houille à Fontaine-l’Évêque passé entre la ville, Monsieur Hardy Bourgmestre et Monsieur Hermans, 1878.
  • Contacts : Madame Wathier, belle-fille de Monsieur Dassonville, contremaître du Gazomètre, derrière la gare.
    –                  Monsieur Lecocq : ancien propriétaire de la maison Montigny.
    –                  Collection privée d’armes de Monsieur Montigny.
    –                  Monsieur Philippe Deitz : spécialiste du gaz de houille.
  • Documentation et notes personnelles.
  • Cartes postales et photos : collection Roland Poliart
  • Le gaz de houille Bibliothèque de Travail Documentation de Georges Jaëgly, 1953.

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait revue N° 22