Trouvaille inattendue

Une trouvaille
pour le moins inattendue
sur les terres
de Leernes

par Alain Arcq

Voici des années que je parcours, détecteur à la main et avec toutes les autorisations adéquates les champs de batailles des campagnes de 1794, 1815 et 1914 proches de nos régions, mais aussi sur nos propres terres.
Bien que l’on trouve parfois des choses inattendues, la découverte que je fis près du cimetière de Leernes, côté sud-est, devait me laisser perplexe.
Cela faisait pas mal de fois que je « fouillais » ce coin mais je n’y trouvais en général que d’anciens vestiges des êtres
qui avaient été enterrés là, aux temps jadis.
Quand je dis vestiges, il ne s’agit nullement de restes humains mais bien de lettres cassées provenant de pierres tombales qui ne sont plus là aujourd’hui, les bords en zinc de vieux cercueils comme on en faisait à la fin du XIXème siècle, quelques rares clous de cercueils, etc.

Mais ce 9 février 2011 allait me réserver deux surprises.
Tout d’abord, à trois mètres à peine du mur, un pendentif au marteau.
Il faut savoir que ce pendentif est un cure-pipe typique du nord de la France et du Hainaut, datant des XVIIème et XVIIIème siècles, autrement dit de 1600 à 1799.
A quelques pas plus au nord, un faible écho sur le détecteur, mais précis à souhait.
Certainement du plomb, du cuivre, du zinc ou de l’aluminium.
Un coup de pelle d’infanterie et une petite forme plate et ronde apparaît à mes yeux.
En la prenant en main je sens une forme à l’arrière, cela ne peut être qu’un bouton en cuivre ou laiton.
Il est plat et bien arrondi, je m’attends à un bouton révolutionnaire mais son relief attire mon attention.
Une couronne est apparue…
En le nettoyant sommairement avec de l’eau, l’attache se casse et disparaît à jamais dans la terre qui est à mes pieds, mais deux ailes et une tête d’aigle sont apparues !
C’est incroyable : un bouton de la Garde Impériale du 1er Empire de diamètre de 17,5 mm.
Que fait-il ici alors qu’il n’y eût aucun combat sous l’Empire ou en 1815 à Leernes ?
Aussitôt deux possibilités me viennent à l’esprit.

 

Un ancien de la Garde a-t-il été enterré dans le nouveau cimetière depuis sa création en 1868.
Ce bouton fait-il partie des vestiges dont j’ai parlé ci-dessus ?
La seconde possibilité serait qu’un « ancien » ait travaillé au champ avec sa veste d’uniforme modifiée ou non, durant les années qui suivirent sa « libération » du service ?
Après tout, on sait que cela a existé avec nos miliciens depuis la création de la Belgique.
Les tissus de laine étaient très résistants.

 

 

La seconde possibilité serait qu’un fossoyeur, après exhumation et mise des ossements à la fosse commune, ait jeté derrière le mur les déchets de cercueil (zinc de fermeture de cercueil retrouvé, bouton et autres) qui restaient sur le sol.
Menons donc une enquête en profondeur afin d’essayer de retrouver à qui appartenait ce bouton interpellant.
A ce jour, seuls trois Leernois ont servi dans la Garde Impériale et sont connus pour avoir participé aux guerres napoléoniennes.
Un seul en est revenu vivant mais pas jusqu’en mai 1858.

  1. COLETTE Nicolas. Né à Leernes le 8 … 1792, fils de Guillaume et de Florence Hublart. Incorporé à Mayence
    le 21 mai 1813 comme voltigeur au 9ème Régiment Voltigeurs de la Garde, 2ème Bataillon, 4ème Compagnie.
    Disparu après Dresde (14 juillet 1813).
  2. DEHON Hubert. Né à Leernes le 9 décembre 1788. Fils de Joseph et de Jeanne André. Incorporé à Mayence
    au 8ème Régiment de Voltigeurs de la Garde. 1er Bataillon. 2ème Compagnie. Disparu après Dresde (20 juillet 1813).
  3. PARIS Isidore, Joseph. Né à Leernes le 13 septembre 1790. A servi dans le 6e Régiment de Tirailleurs
    de la Garde Impériale durant six années. Fusilier. Rentré en 1815.

Les archives de Leernes, conservées à l’Etat Civil de Fontaine-l’Evêque, ne donnent aucune trace concernant leur décès officiel et encore moins de leur inhumation.
Restait à trouver d’autres pistes.
Voici quelques années, en parcourant les archives de la Ville de Charleroi, j’avais trouvé quelques traces des « anciens »
qui avaient été décorés de la célèbre Médaille de Sainte-Hélène, décernée, suivant les vœux de Napoléon à ceux
qui avaient servi la France de 1792 à 1815.
Voici l’article que j’avais trouvé :

Extrait du JOURNAL de CHARLEROI du mercredi 5 mai 1858.
« On nous écrit de Leernes, le 2 mai :

Notre commune vient aussi d’avoir sa journée de glorieux souvenirs. M. Josson, bourgmestre, a distribué aujourd’hui solennellement les médailles de Sainte-Hélène, à dix vieux soldats de l’empire.
La commune de Leernes, d’une population de 800 à 900 habitants sous le régime français, comptait naguère encore quinze vieux soldats qui avaient assisté à de sanglantes et mémorables batailles, les uns en Espagne et au Portugal,
les autres en Allemagne et en Russie.
Voici les noms de ceux qui viennent d’être décorés :
Louis André, Nicolas André, Charles Bottiau, Nicolas Bataille, Pierre Cauderlier, Georges Cordier, Joseph Durieux, Pierre Hennaux, Désiré Renart.
Quand notre honorable bourgmestre rappela en quelques mots les titres que ces braves soldats avaient au respect de tous les habitants et le plaisir qu’il éprouvait de leur délivrer la récompense de la fidélité à leur devoir, des larmes de joie coulèrent sur la figure des vieux guerriers.
Après que la musique eut exécuté la Brabançonne, la foule s’est dispersée aux cris de :
Vive le Roi ! Vivent les braves de l’empire ! Vive le bourgmestre ! »
Et voici ce que j’ai pu trouver sur ces anciens soldats du Premier Empire.

  1. ANDRE Louis, Joseph. Né à Leernes le 28 septembre 1791. A servi durant quatre ans comme fusilier au 21ème Régiment d’Infanterie de Ligne. Etait rentré en 1815. Médaillé de Sainte-Hélène le 2 mai 1858. (décédé à Leernes le 12 août 1862, cloutier, âgé de 80 ans, né à Leernes, fils de Philippe et de Pouillon Marie Joseph)
  2. ANDRE Nicolas Joseph. Né à Leernes le 6 novembre 1793. A servi durant un an au 30ème Régiment d’Infanterie de Ligne. Marié. Etait rentré en 1815. Médaillé de Sainte-Hélène le 2 mai 1858. (décédé à Leernes le 13 novembre 1866, maçon, âgé de 73 ans, né à Leernes fils de André Jean et Joret Marie-Thérèse)
  3. BATAILLE Nicolas Joseph. Né à Leernes le 17 septembre 1793. A servi durant deux ans comme fusilier au 123ème Régiment d’Infanterie de Ligne. Rentré en 1815 atteint de surdité. Médaillé de Sainte-Hélène le 2 mai 1858. (décédé à Leernes le 27 octobre 1873, à Wespes, maçon, âgé de 80 ans, fils de Charles et Bertaux Marie Joseph)
  4. BOTTIAU Charles Joseph. Né à Leernes le 25 juin 1790. A servi durant deux ans comme fusilier dans le 69ème Régiment d’Infanterie de Ligne. Marié. Rentré en 1815. Médaillé de Sainte-Hélène le 2 mai 1858. (décédé à Leernes le 30 avril 1867, journalier, âgé de 76 ans, fils de Antoine et Nerraumont Marie, au lieu dit Coq n°11 au hameau de Wespes)
  5. CAUDERLIER Pierre, Joseph. Né à Leernes le 26 février 1788. A servi durant sept années dans le 58ème Régiment d’Infanterie de Ligne. Caporal. Rentré en 1815. Médaillé de Sainte-Hélène le 2 mai 1858. (décédé à Leernes le 16 octobre 1874, âgé de 86 ans, cultivateur, domicilié à Leernes, fils de Pierre Albert Joseph et Dartevelle Marie Thérèse)
  6. DURIEUX Jean, Joseph. Né à Leernes le 22 juin 1786. A servi durant huit années au 79eème Régiment d’Infanterie de Ligne. Fusilier. Marié. Rentré en 1815. Médaillé de Sainte-Hélène le 2 mai 1858. (décédé à Leernes le 7 mai 1866, cultivateur âgé de 79 ans, né à Leernes de Pierre et Maindiaux Jeanne)
  7. RENART Désiré – Médaillé de Sainte-Hélène le 2 mai 1858. (décédé à Leernes le 1er mai 1870, journalier âgé de 81 ans, fils de Hubert Joseph et de Lavand’homme Marie, au hameau de Wespes secteur 13 n°31).

 

 

 

Malheureusement, aucun renseignement sur Georges Cordier
et Pierre Hennaux qui ne sont pas décédés dans notre entité
(Leernes, Forchies-la-Marche et Fontaine-l’Evêque).
De ces braves, enterrés au nouveau cimetière de Leernes,
ou tout au moins translatés seul Renart Désiré aurait pu avoir servi
dans la Garde Impériale.
Décédé en 1870, c’est donc dans le cimetière actuel qu’il fut inhumé.
Est-ce lui ?
Il y a 50 % de chance que oui mais….
Une seule chose est certaine d’après ces recherches ;
le dernier « Grognard » de Leernes à être décédé sur ses terres est
Cauderlier Pierre Joseph, que la mort a emporté
vers la gloire éternelle le 16 octobre 1874 à l’âge de 86 ans.

 

 

 

 

 

 

 

Notre ami, Michel Mairiaux, nous apporte aussi
son témoignage au sujet de Pierre Cauderlier :
« J’ai bien connu la petite fille de Pierre Cauderlier,
notre grognard est revenu d’Espagne à pied
bien entendu, en uniforme, par Thuin et l’Abbaye
d’Aulne pour atteindre les hauteurs de Leernes
et lorsqu’il a aperçu le clocher de l’église de Leernes,
il a eu cette exclamation :  « J’y pensais souvent.
Je ne pensais plus jamais le revoir ! »

 

 

« Il fut enseveli à l’ancien cimetière de Leernes comme les autres soldats mais le transfert des tombes et des restes se fit sans ménagement (fosse commune) lors de l’installation du nouveau (1899-1900), surtout pour ceux qui n’avaient pas
les moyens de se payer une nouvelle pierre ou un nouveau caveau , primitivement les limites du nouveau cimetière
était bordée d’une haie qui fut remplacée quelques années après par un mur. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait revue N° 21