Le couple parricide de Forchies

Le couple parricide
de Forchies-la-Marche

 par Michel Madoe

Tiré de « Brigands et larrons dans le départements de Jemappes » par Roger Darquenne en 1992

 

Au matin pâle du jeudi 26.12.1805 (5 nivôse an 14), au bord d’un des chemins menant à la place de Forchies, plus bas
que la cure, un corps, « couvert d’un sac mis par une personne charitable »,est découvert au pied d’une fontaine,
le ventre posé sur une grosse pierre, la tête marquée de coups.
Le maire Louis Parée, son adjoint André-Joseph Henne reconnaissent Michel Dussart, domestique de labour à la cense
du Viernoy, à Piéton, tenue par Jean-Baptiste Demeuldre.
Chaque dimanche et jours fériés, Dussart rentre à Forchies chez sa fille Marie-Françoise, 22 ans, fileuse de laine, épouse du cloutier Pierre-Joseph Gomez, 24 ans, né à Courcelles et travaillant à la forge de Martin Gillot.
Le jeune ménage vit dans une modeste maison louée au cordonnier Pierre Paul et dans les meubles du père
dont en contrepartie la fille entretient le linge.
Dussart refusait désormais de coucher dans le lit ou sa femme était morte et logeait à Forchies chez le cultivateur
Vincent Spinette.
Les édiles communaux ne remarquent aucune trace de sang aux alentours ni sur le visage qui paraît avoir été lavé.
Au contraire il y a un peu de sérosité sanguinolente dans la chevelure, sur le devant de la chemise et du gilet.
Ils constatent aussi que les habits et souliers sont secs malgré la proximité de la source: le cadavre a donc été déplacé.
Dès lors ils alertent Auguste Delbruyere, juge de paix et officier de police judiciaire du canton de Fontaine-l’Evêque
qui, le jour même, fait transporter et autopsier le mort à la chambre commune.
Le chirurgien fontainois Adrien-Maurice Clerx, fraÎchement diplômé par le jury de Charleroi le 14 brumaire an 11
(05.11.1802), constate des coups sur l’os coronal (frontal) gauche et une fracture ouverte du pariétal gauche
dont il suinte un sang non coagulé évoquant un assassinat tout récent.
Le chirurgien confirme le déplacement du corps sur lequel on trouve une bourse avec six liards.

Des témoins affirment avoir remarqué que celle-ci était mieux garnie lorsque Dussart l’avait déliée au cabaret.
Ils déclarent aussi qu’une clef, disparue depuis, était attachée par un cordon à la boutonnière de sa culotte.
La présomption de vol s’ajoute donc à celle d’assassinat.
Les voisins laissent aussi entendre que le mort avait manifesté l’intention de partager ses meubles entre sa fille
et Marie-Joseph Gline, épouse de Charles Boudart, issue d’un premier mariage de sa femme.
Ces derniers devaient emporter une table et six assiettes en étain.
Delbruyere en sait assez pour interroger et perquisitionner sans délai chez Gomez.

Reconstituons la chronologie des investigations minutieuses, qui est fort décousue dans la relation du procès
transcrite par le greffier Ghislain SenauIt, de la Cour de justice criminelle de Mons.

Le 15.08.1805, jour de la Saint Napoléon, on avait vu Gomez menacer son beau-père d’un couteau et sa femme
lever le poing contre son père qui voulait partager de la toile entre ses deux filles.
La rumeur populaire taxait Gomez de violent. A plusieurs reprises, il avait répété qu’il n’aurait aucun regret
à tuer quelqu’un même son propre frère Jacquot.
Le 4 nivôse an 4, jour de Noël 1805, au début de l’après-midi, on avait vu Michel Dussart revenir de la ferme du Viernoy.
Il portait sur l’épaule un bâton avec un paquet noué à l’extrémité, des moufles usagées de laine blanche, un habit
couleur ardoise, un gilet jaune et des bas chinés de coton blanc, à lignes bleues transversales.
Après avoir enlevé son sarrau, il assiste aux vêpres avec Gomez puis il part seul chez son oncle Charles Tison.
Rentré vers 19 h. 30, il va boire la goutte avec son beau-fils chez le cabaretier Nicolas-Joseph Dumouceau, en compagnie de Rosalie Ligny.
Dussart recherche aventure : vers 21 h. 30, il raccompagne la dame chez elle mais se heurte à un refus.
Il revient donc au cabaret jusque deux heures du matin.
Puis Gomez et lui rejoignent leur demeure où ils trouvent Anne Boudry « avec laquelle Dussart badine » en vain
car il se voit consigner la porte de la demoiselle.
Sans doute pris de boisson, Dussart s’en va alors frapper chez Nicolas Jacques qui refuse de lui ouvrir.
Sa fille avait fait une brève apparition à l’estaminet avec une voisine, la fille de Philippe Paris, dit le boîteux.
Tous ensemble ils avaient bu une potée de genièvre offerte par Dussart puis les femmes s’en étaient retournées.
La fille Paris avait remarqué les moufles de la future victime tandis que le cabaretier Dumonceau avait lorgné la clef,
disparue depuis, attachée à la boutonnière de la culotte.
Dussart avait perçu le coup d’oeil indiscret et avait d’ailleurs dit à Dumonceau : « jamais personne ne l’aura qu’après
ma mort ».
On s’épie beaucoup à la campagne.
Le jour de Noël, Dussart et les siens passent devant la maison du garde champêtre Jacques-Joseph Dulier ou Doulier,
sans doute pour se rendre à l’estaminet.
Ce dernier avait entendu une conversation rapportée au juge.
Dussart y faisait part de son désir de partager les meubles entre ses filles : il avait, dit-il, trouvé un acquéreur de l’armoire
pour cinq couronnes (29 frs) mais laissait la préférence à Gomez au même prix.
Marie-Françoise Dussart avait rétorqué que les meubles lui étaient destinés et qu’elle ne les céderait pas.
Se sentant peut-être observé, Gomez avait répondu benoîtement: « je ne veux rien mon père, gardez tout ».
Sans doute ruminait-il déjà sa vengeance.
Toujours est-il que, dans la nuit du 25 au 26 décembre, vers trois heures, les voisins Vincent Spinette, Jean et Charles
Sommeville, Mathieu Dumonceau, Etienne Fauconnier perçoivent des éclats de voix chez Gomez et, au bout
d’une demi-heure, le claquement d’une porte.
Ils saisissent même le cri « Jésus, Maria» venant de la chambre de Gomez.
Un autre voisin, Georges Gline, dont la maison est contiguë, hébergeait un logeur au grenier.
S’étant levé pour « lâcher les eaux », ce dernier entend du bruit chez Gomez ; il enlève alors les deux bottes de paille
qui servent de fenêtre en lieu et place de verre à vitre coûtant trop cher.
Il lui semble reconnaÎtre la voix de Dussart disant « sacré dieu », déformation pieuse de « sacré Dieu », le blasphème
restant craint à l’époque.
Puis il croit deviner Dussart adossé à la maison de Noël Gline et répétant« mon dieu, mon dieu, je voudrais
avoir mon bâton, vous vous en repentiriez ».
On apprend aussi que le jour de Noël, le blatier Jacques Sadin, de Forchies, a remboursé à Dussart
deux couronnes et demi, soit 14,50 Frs, sur les trois qu’il lui devait.
Rappelons qu’on a seulement trouvé six liards dans la bourse de l’assassin.
Tout au matin du cinq nivôse, les gens sont intrigués par le comportement suspect de Gomez et par le manège
de sa femme.
Tout tremblant, Gomez se rend chez Paris et demande de l’eau pour se laver les mains.
Puis, vers 8 heures, il s’en va chez Dumonceau boire une goutte et tombe faible au coin du feu.
Après administration « des secours usités à la campagne », le cabaretier le raccompagne.
Gomez lui raconte qu’il vient d’aller reconnaître le corps de son beau-père mais que sa femme s’est abstenue
pour deux motifs : elle est enceinte et a voulu éviter de payer les frais occasion nés par la levée du cadavre.
Dumonceau note aussi que le chapeau du mort, pendu à un clou, porte un crêpe funèbre.
Les voisins avaient encore observé les allées et venues de Marie-Thérèse Dussart :
elle avait balayé avec force et à plusieurs reprises le pavement (taché de sang)
elle y avait jeté des cendres, ensuite ramassées et expulsées dehors, puis flambé de la paille au même endroit.
Elle avait aussi brûlé le bâton de son père, terminé par une virole en fer, dans le but, dit-elle, de récupérer le fer.
Des voisins susurrent alors insidieusement à Gomez que les autorités pourraient bien faire une visite chez lui.
Ce dernier dit alors imprudemment à sa femme: « cachez ce que vous savez ».
Puis il s’en va acheter des pommes en maugréant, sans doute pour se suggestionner, que la mort de son beau-père
« ne lui faisait rien, qu’il ne se saisissait pas pour pareille histoire ».
Le juge Delbruyere perquisitionne le 26 décembre: il emporte le chapeau du mort et une« épincette vulgairement appelée
main de fer» au coin du feu.
Un assistant met le doigt mouillé sur cet objet et le retire « rouge, luisant et collant » comme du sang mais Gomez
prétend que c’est de la rouille.
A ce moment, il perd son sang-froid, se jette à genoux et « jure en présence de Dieu qu’il est homme de probité
et n’a pas coopéré à l’assassinat de son beau-père ».
Le juge remarque qu’un quart de la chambre à coucher des Gomez est humide, qu’on y a jeté des cendres
de mauvais boulets de charbon, à forte proportion d’argile, mais qu’il reste des traces rouges sur le sol.
Le lendemain, comme si de rien n’était, Gomez et sa femme vont chercher les vêtements du défunt à la cense du Viernoy
et recevoir deux couronnes sur ses gages.
Le 8 nivôse, Delbruyere revient inventorier les meubles du disparu et vendre publiquement un sac et demi
de pommes de terre se trouvant dans la cave, « comme objets non propres à être conservés ».
Dans la garde-robe, il saisit l’habit, les bas et une chemise de la victime, maculés de sang.
Après la vente des pommes de terre, appelées en patois patates ou canadas, il invite l’acquéreur Georges Gline;
Pierre Paul, le propriétaire de la maison; le maire et l’adjoint de Forchies à rechercher la clef disparue, parmi le tas
de pommes de terre.
Avant de descendre à la cave, ceux-ci demandent de la lumière à Gomez.
La réponse est négative alors que la veille on lui avait vu un crachet contenant encore de l’huile.
En enlevant les pommes de terre, Noël Gline, frère de l’acquéreur, remarque un trou de lapin bouché avec du sable
qu’ils enlèvent.
Ils y découvrent un mouchoir de coton blanc moucheté, à bord jaune fleuronné, appartenant à la fille Dussart;
une moufle en laine blanche doublée d’un morceau de drap ardoise, tachée de sang; la virole de fer mais point de clef.
Le maire et l’adjoint saisissent le tout qui est porté sans délai chez le juge par le garde champêtre.
A la diligence de Delbruyere, le 28.12.1805, un mandat de dépôt est délivré par Dupuy, le magistrat de sûreté, substitut
du tribunal de Charleroi, à charge de Gomez et de son épouse.
Le magistrat de sûreté, rouage nouveau créé par la loi du 7 pluviôse an 9 (27 .01.1801), est désormais seul habilité
à décerner les mandats d’amener et, éventuellement, de dépôt.
Cette loi réduit à trois cas exceptionnels le droit pour les juges de paix et officiers de gendarmerie de délivrer
des mandats d’amener : flagrant délit; accusation par la rumeur publique; indices suffisants dans le cas de délits
comportant une peine afflictive.
Bien entendu les juges de paix, aux pouvoirs désormais rabotés, gardent la juridiction de simple police.
Selon la règle, le mandat de dépôt est transmis par l’huissier carolorégien François Juste tandis que son collègue
Charles Beaumacheck accomplit d’autres devoirs.
Le juge Philippe-Marie-Emmanuel Wautier, directeur du jury d’accusation, les entend aussitôt.
Aucune partie plaignante ne s’étant présentée, il prend connaissance des cinq procès-verbaux rédigés par Delbruyere
et les confronte avec les dires des prévenus.
Le 03.04.1806, il décide de les traduire devant le jury d’accusation et délivre les mandats d’arrêt remis le lendemain
par l’huissier précité (2).
Entre-temps les juges J.B. Hanolet et Théodore-François Bourgeois auditionnent 48 témoins parmi lesquels des enfants:
André Glinne, cloutier, 15 ans; Marie-Catherine Bailly, 11 ans.
Ils entendent aussi un homme de mauvaise foi, Cyrille Bailly qui, nous le verrons, finira sur la guillotine.
Gomez et sa femme se défendent mal : leurs déclarations sont contradictoires isolément et entre elles; leurs dénégations
sur l’appartenance des vêtements et objets saisis sont aisément réfutées.
Le 6 mai1806, le jury d’accusation déclare « qu’il y a lieu à accusation» ; une ordonnance de prise de corps est délivrée
le jour même et les suspects transférés à la maison de justice de Mons.
Contrairement à la règle, le procès tarde car Marie- Françoise Dussart est grosse.
Elle accouche d’ailleurs en prison, le 07.06.1806 à 22 heures, d’un garçon baptisé le 9 et appelé Pierre-Joseph Gomez
comme son père.
Le 22.07.1806, le jury de jugement, présidé par Montreuil, assisté du président Foncez et de son greffier Ghislain SenauIt

les déclarent tous deux coupables à l’unanimité, le cas étant beaucoup plus simple que celui de la bande Picard
et consorts.
Ils sont en outre condamnés aux frais par les juges Foncez, Fonson, et J-B. Willems.

Fait navrant, le lendemain 23 juillet, le bambin est arraché du sein de sa mère et confié à l’hospice du Saint-Esprit.
Mais les condamnés espèrent encore : ils se pourvoient en cassation qui rejette leur requête le 05.09.1806.
Le vendredi 19.09.1806, en chemise rouge, la tête et le visage cachés par une étoffe noire, comme le veut la loi
pour les parricides, les coupables sont conduits à l’échafaud sur la grand-place de Mons.
Ils échappent malgré tout à une souffrance supplémentaire infligée aux parricides à partir du 01.01.1811, à l’entrée
en vigueur du code de 1810 : la section du poignet droit immédiatement avant l’exécution (art.13 du code de 1810).

Affiche publiée dans tout le département annonçant la condamnation à mort d’Andre-Joseph Willame, de son fils Adrien
et d’Andre Mansy, originaires de Haine-Saint-Pierre. Mansy bénéficie d’un sursis de quelques mois parce qu’il est occupé
à éclairer la justice sur d’autres forfaits.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait revue N° 7