Francisco Ferrer

 

FRANCISCO FERRER
dans
nos trois communes

par Michel Mairiaux

Notre société évolue, c’est certain mais faut-il pour cela rayer d’un trait les luttes pour nos libertés ?
Une rue à Leernes (act. rue Alexandre Bert(e)aux), une place à Fontaine-l’Evêque (act. place Hyppolyte Cornille),
un Cercle de libre pensée à Forchies-la-Marche portaient jadis le nom de Francisco Ferrer.
Rien que dans le grand Charleroi, 16 rues affichent encore son nom, plus pour longtemps, pour des raisons de distribution postale, ces témoins vont disparaître.
Une seule rue Ferrer restera.

 

C’est pourquoi la Maison de la laïcité de Fontaine-l’Evêque a pris l’initiative d’apposer une plaque à sa mémoire.
Peu de gens et à priori les jeunes générations
ne connaissent plus ce personnage pourtant l’affaire Francisco Ferrer a secoué toute l’Europe démocratique
en 1909 lors de son ignoble exécution sur l’ordre
du roi d’Espagne Alphonse XIII qui lui – complice
d’un assassinat – a toujours son nom sur une avenue
à Bruxelles du côté du Bois de la Cambre.
Pourquoi y a-t-il eu partout – et surtout dans le sillon industriel wallon – autant de rues Ferrer ?
Un recul historique est nécessaire pour répondre
à la question et l’exemple local nous semblera pertinent.

 

 

Jusqu’en 1911, il existait un cartel politique libéral-socialiste hostile au cléricalisme et favorable à un enseignement
public neutre.
Selon les endroits où cette majorité dominait, les plaques Ferrer se multiplièrent car elles représentaient un symbole
de la liberté de conscience et de l’émancipation ouvrière.
Mais suite aux élections de 1911 et 1912, le cartel se déchira.
Les Libéraux conservateurs, en majorité dans leur parti, reprochèrent aux Libéraux progressistes de s’enliser
dans la gauche et finalement s’allièrent au Parti catholique.
Cela se ressentira sur le terrain, là où ils avaient le pouvoir, par le remplacement des plaques Ferrer par des noms
de Libéraux distingués, issus du cru.
Ce fut le cas à Leernes, la rue Ferrer (1910-1938) plus connue sous le nom de rue des Innocints pour une autre raison,
devint par décision du Conseil communal et juste avant les élections, rue Alexandre Berteaux, échevin libéral allié au Parti catholique et à Fontaine-l’Evêque, la place Ferrer (1910-1928) devint celle d’Hippolyte Cornille, enseignant estimé.
Dans les localités où le socialisme triomphait, les plaques Ferrer restèrent en place.

Anecdote supplémentaire, lors du début de la première guerre mondiale, l’occupant allemand, proposa l’aide alimentaire de l’Espagne.
L’ambassadeur espagnol exigea en contrepartie la disparition des symboles contraires à l’Espagne.
C’est ainsi que la statue Ferrer de l’U.L.B. fut déboulonnée et que Bruxelles se trouva sans plus de rue Ferrer.
Démontée une seconde fois en 1966 pour cause de travaux d’urbanisation, il fallut toute la vigilance des libres-penseurs pour la faire remettre en place. Quant au Cercle de Forchies-la-Marche, il fut mis en veilleuse durant les occupations allemandes et accompagna, en 1952, son dernier président dans la tombe.

QUI ETAIT FRANCISCO FERRER ?

* Climat de l’Espagne au début du XIXe siècle – 68% d’illettrés. Misère du peuple. Forte émigration. Révolte à Barcelone contre la colonisation du Maroc, non à la guerre coloniale selon l’injonction du Congrès socialiste de Stuggart (Allemagne) – Incendies en série des couvents de Catalogne (ceux-ci exploitaient la main-d’oeuvre féminine et infantile et ne payaient pas d’impôt) – Répression par l’armée et la guardia civil venue d’autres régions.
Vague de calomnies contre les insurgés.
* Francisco Ferrer est né en 1853 près de Barcelone, issu d’une famille bourgeoise, inspecteur des chemins de fer,
il avait pris part à l’insurrection de la Catalogne en 1885 ayant pour but l’instauration d’une république.
Cela lui sera toujours reproché.
* Il se réfugie à Paris sans le sous. Y poursuit des études pédagogiques grâce à la rencontre de la demoiselle Mercier, sans héritiers celle-ci lui lègue sa fortune.
Il entre à la Loge maçonnique du Grand Orient et est actif dans les cercles rationalistes.
* Contact à Bruxelles avec Charles Buls fondateur de « l’Ecole Modèle ».
Retour à Barcelone pour y fonder « l’Ecole Moderne » (1901) ainsi qu’une bibliothèque socio-philosophique, une librairie
et une imprimerie. Succès, près de cent écoles sont créées.
Devient la proie de la haine religieuse.
* Première incarcération (1906). Acquittement du tribunal civil.
Ferrer de nouveau arrêté (1909) mais cette fois par l’autorité militaire (Maura). Un avocat lui est commis d’office,
le capitaine Galceran qui courageusement dit : « Je plaide pour un procès jugé d’avance ».
Condamnation à mort sans réel procès.
* Maura passe outre de l’indignation suscitée en Europe y compris une lettre du Pape Pie X (arrivée paraît-il, tardivement).
* En prison Ferrer rejette toute pression des moines. Il écrit l’histoire de son école. Il refuse l’aumônier.
* Exécution à Montjuich. Ferrer demande de ne pas être agenouillé (accordé) et de ne pas avoir les yeux bandés
comme un traitre (refusé).
Il s’adresse aux soldats chargés de l’exécution : « Garçons visez bien. Je suis innocent. Vive l’Ecole Moderne ! Vive… »
* Manifestations dans toute l’Europe jusqu’aux Amériques.
La presse catholique (y compris la belge avec Het Volk et Le Courrier du Soir de Verviers) tente de justifier l’exécution
d’un anarchiste.
Au même moment restait à Montjuich 3.119 prisonniers dont 122 femmes pour les mêmes raisons.
* Alphonse XIII se lavera les mains en disant qu’on l’avait mis devant un fait accompli.

Sources et notes

  1. La Vérité sur Francisco Ferrer et les évènements de Barcelone par un témoin oculaire, Bruxelles, La presse socialiste, 1909.
    Le livre appartient à Lucienne Berghmans, mes remerciements.
  2. La carte postale Place Ferrer à Fontaine-l’Evêque et la photo de la plaque sont de Roland Poliart.
  3. Reproduction d’une carte postale, Rue Ferrer à Leernes, photo Michel Mairiaux.
  4. Selon la tradition : les rues Ferrer disait-on, menaient toutes à l’église…
  5. Texte et adaptation de Michel Mairiaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait revue N° 21