L’Histoire en deux mots

L’Histoire en deux mots

par Pascal Feyaerts

 

Qu’est-ce que l’Histoire ? Faut-il la décrire comme une science ou faut-il l’aborder plutôt comme un récit ? A-t-on réussi à l’émanciper de la littérature à laquelle elle a été trop attachée durant des siècles ? A-t-elle un sens ? Possède-t-elle un objectif caché des hommes et que les philosophes n’ont de cesse de traquer ? Peut-on la déchiffrer sans y mêler sa propre subjectivité ? Beaucoup de questions, dont on peut objectivement craindre de n’avoir toutes les réponses, et auxquelles j’éviterai de m’attaquer trop ardemment dans un souci constant de simplicité.

 

Longtemps, l’Histoire a été indissociable du récit n’étant visitée pendant des siècles que sous un angle littéraire et apologétique. Preuve en est, le Mahabhara de Vyâsa qui se veut une histoire de l’Inde ancienne tout autant qu’une épopée dans l’esprit d’Homère et de son Iliade ou encore de l’Odyssée. Son souci premier, bien plus que de discourir sur des faits, était l’enseignement spirituel et non de dater les évènements. A ces époques l’Histoire s’appariait aux mythes et légendes et demeurait une narration avant tout autre chose : c’est ce qui la fait littéraire et l’apparente au récit. Cependant si le mythe et la légende font appel à des notions de symbolisme, ceux-ci n’entrent guère en ligne de compte lorsque l’on traite aujourd’hui de l’Histoire qui tend à rester essentiellement factuelle.

 

Il faudra attendre bien des années et l’arrivée d’Hérodote pour commencer à parler d’un historien digne de ce nom. « Voici l’exposé de l’enquête entreprise par Hérodote d’Halicarnasse pour empêcher que les actions accomplies par les hommes ne s’effacent avec le temps ». Ainsi Hérodote commence-t-il son récit et un mot frappe au milieu des autres : le mot enquête. Rappelons qu’istoria en grec signifie « enquête au sujet de » et non histoire. Aucun mot en grec n’existe pour désigner l’Histoire.

 

Le récit historique de l’antiquité possède essentiellement « pour mission de combler les lacunes engendrées par le temps ». Il s’agit avant tout d’un devoir de mémoire s’appuyant sur les hauts faits. Mais les premiers historiens ont moins le souci de la chronologie que celui du grandiose, qui tient souvent de l’histoire politique et des hauts faits de guerre ou qui tend à servir de modèle. Pour Thucydide, le récit est une œuvre d’art tout à la gloire des héros. L’historien était donc avant tout un conteur plus attaché à la rhétorique qu’à l’exactitude des faits, le beau discours primant sur la « vérité ». Une distinction s’est faite néanmoins de nos jours entre le travail de l’historien et celui du roman historique.

Une évidence cependant : l’Histoire, dès le commencement, cerne des évènements du passé humain, ce qui permet d’avancer une première définition de celle-ci qui peut ainsi se poser en ces termes : un récit qui traite du passé humain suivant méthode. Le mot méthode étant enfin prononcé, nous allons pouvoir avancer à la lumière d’un nouvel éclairage. C’est là que la science rejoint la littérature pour construire l’Histoire telle que nous la connaissons. C’est à cela que se sont attelés les positivistes à la suite d’Auguste Compte, c’est à dire à objectiver l’approche de la connaissance historique en la poussant vers plus de rigueur et qui dit objectiver sous-entend prouver. Le récit devient dès lors moins littéraire à mesure qu’il se nourrit de preuves. Chaque hypothèse posée sur le passé se doit d’être corroborée par des documents attestant de la véracité de cette dernière et diminuant le risque de subjectivité à, à quantité près, zéro.

Néanmoins, on peut dire avec S. Cartafant que « l’Histoire, c’est le passé plus une intervention subjective venue du présent qu’y mêle l’historien ». C’est à L’Anglois et Seignobos que l’on doit la méthode critique de l’Histoire qui a pour volonté d’éliminer la subjectivité personnelle et ne s’aligner que sur les faits. De là à placer l’Histoire au rang des sciences il n’y a qu’un pas qu’il faut néanmoins se garder de franchir. Comment en effet définir l’Histoire comme étant une science, sachant que toute science a pour fonction d’ériger des lois universelles ? L’Histoire, elle, ne fait qu’objectiver au plus près des faits. Ce qui rapproche l’Histoire de la science n’est autre que la manière qu’elle a de fonctionner au départ de méthodes et ce qui la rapproche de la littérature est lié à son besoin de prendre la forme d’un récit. L’Histoire est donc la connaissance du passé humain pour autant qu’elle s’appuie sur des documents qui la crédibilisent.

Maintenant que nous tenons une définition de l’Histoire, pouvons nous lui accréditer un sens, une volonté. Sommes-nous une simple marionnette entre ses mains vieilles de tant de siècles ou lessimples exécutants d’un projet qui dépasse le cadre restreint de nos simples vies ? Si l’on en croit Hegel la réponse est oui : la fin de l’Histoire approche à grand pas d’homme (ne se disait-il pas le dernier philosophe) et doit aboutir à l’établissement du régime de raison. Hegel débute l’Histoire par une lutte, celle du maître et de l’esclave et c’est de cette lutte que naît le sens, son mouvement est dialectique : chaque situation engendre un mouvement opposé, chaque thèse appelle son anti-thèse et conduit à une synthèse qui devient elle–même thèse, etc… Pour Hegel, l’histoire est la réalisation dialectique de l’esprit et le monde est dirigé par la raison. L’Histoire répond à cette raison. La fin de la lutte conduit l’Histoire à son achèvement et la raison domine.

Marx est beaucoup moins idéaliste que son compatriote, il fonde le matérialisme historique en pensant pouvoir réaliser une analyse scientifique des faits qui se déroulent dans le monde. Pour Marx, l’Histoire est faite par les hommes, en dehors de l’esprit ou de la raison qu’invoquait Hegel, et passe d’abord par la lutte des classes. Le mot lutte prend ici le sens de contradictions dialectiques. La dernière phase doit déboucher sur une société sans classe.

Un autre Philosophe à réfléchir sur l’Histoire, c’est F. Nietzsche qui l’associe aux sciences naturelles, car il l’estime tout comme elles dépourvue de signification. Dans l’Histoire, écrit-il, « Les ultimes tentatives en vue d’interpréter une Raison ou une Divinité ont échoué ». Pour Nietzsche l’Histoire ce sont des faits en vrac portés par le non-sens et le hasard. Il y voit l’avenir de la société en ce que celle-ci propose « un grand établissement d’essai en vue de préparer la sagesse nécessaire au gouvernement de la terre ».

En fait c’est depuis peu que l’on a réfléchi au sens à donner à l’Histoire et si la question a été beaucoup discutée, les réponses auront, quant à elles, manqué. Il y aurait sans doute beaucoup plus à dire et nombre de noms n’ont pas été cités ici, pour ce qui est du sens ou des méthodes, qui y auraient leur place. Je pense notamment à Voltaire ou encore à Michelet et à bien d’autres, qui auront vite fait de m’excuser quand je leur dirai que je me devais de respecter en premier lieu le titre : l’Histoire en deux mots.

Pour conclure, il me semble important d’exposer le vingtième siècle à la loupe, tellement celui-ci a été riche en bouleversements, en crises de toutes sortes et en évolutions technologiques qui n’ont pas été sans ressort sur la manière d’aborder l’Histoire. Si cette dernière a pu profiter avantageusement des avancées du siècle, pour ciseler ses instruments d’investigation et affiner ses prétentions à de plus précises vues, ce n’était que pour mieux répondre a l’augmentation de ses pôles d’intérêt. Elle s’est en effet trouvée alourdie de nombre de matières qui sont venues la rejoindre à mesure que naissaient les crises, augmentant le chiffre de ses sciences auxiliaires, qui jusque là comptait surtout l’archéologie, l’héraldique et la généalogie. Les crises démographiques, lui ont amené la démographie ; les crises politiques, la politique ; les crises sociales, la sociologie,… L’Histoire est aujourd’hui dans tout et n’en déplaise à Hegel, elle semble loin d’avoir livré son dernier soupir.

                                                                                                             

 

 

 

Diverses représentation de Clio,

la Muse de l’Histoire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait revue N° 1