La place communale de Leernes

La place communale de Leernes

Ses presbytères, ses écoles
et ses métamorphoses

 

L’existence de la paroisse de Leernes est attestée au moins depuis 973 par un diplôme impérial d’Othon II.
II faisait dotation au chapitre Saint Ursmer de Lobbes des revenus de l’autel (qui pouvait être qu’une simple table
de pierres ou une chapelle) ainsi qu’en 1186, lorsque les curés de plusieurs paroisses se réunissent en une assemblée
de protestation contre les tailles que les évêques de Cambrai et d’Arras imposaient au clergé hennuyer.
Voici comment à partir d’une succession de trois presbytères se dessina la place communale de Leernes.
Cependant, nous n’aborderons pas ici, l’histoire de l’église Saint-Martin qui par ailleurs a déjà fait l’objet d’articles
ou de publications diverses.
Le premier curé connu de Leernes fut Hugo (1245) il était probablement attaché à l’Abbaye de Lobbes.
La cure de Leernes faisait partie de la mense du chapitre de Binche.
Cette union a été ratifiée le 4 juin 1482 par Jacques de Croÿ évêque de Cambrai.(1)
Cependant, le mot cure pouvant avoir diverses interprétations, ne signifie pas nécessairement qu’il y avait une maison
de cure.
Certains villages n’en possédaient pas, car les curés pouvaient aller biner.
Le binage autorisait le prêtre à dire la messe le même jour, dans deux paroisses différentes dont l’une forcément
n’avait pas de cure.
Selon les archives paroissiales, il y a une cure à Leernes dès 1645. Le 22 septembre 1661, le pasteur Baudouin Le Roy,
curé de 1614 à 1657, lègue par testament une « maison presbytérale à son successeur et autres pasteurs
successeurs »,(2) ce qui laisse entendre que cette maison lui appartenait en bien propre.
Il ne fait pas de doute, qu’il existait pourtant une cure antérieure, qui fut délaissée parce que devenue trop vétuste.
En 1721 « … ceux de Leernes » adressent une requête au Seigneur abbé de Lobbes pour construire une école.
En effet, une visite des chemins par la cour des mayeur et échevins en 1724, nous en informe :
«…encore plus avant dans le dit chemin (venant de Fontaine) nous avons trouvé que la haie de l’héritage del cure
que possède le révérend pasteur de ce lieu est descendu de beaucoup sur le chemin partant lui avons ordonné
de la retirer et la remettre de niveau avec la grosse pierre qui fait l’anglée de la muraille d’une maison qui estoit autrefois
la cure de ce lieu. »(3)
S’il est hasardeux de situer précisément cette maison de cure qui devait être au lieu-dit Lamelle ou Agnia trau.(4a)
c’est-à-dire proche du début de la ruelle Dardine, il est tout à fait possible que ce soit tout simplement le bâtiment
qui servira fin du XVIIIe siècle, (racheté par l’Administration communale) d’école et de salle commune et qui se trouvait
juste à l’angle de l’ancien cimetière d’ avec le chemin de Fontaine à Gerpinnes.
Par contre, il n’y a pas de confusion possible avec le second presbytère du pasteur Le Roy, puisque plus loin nous lisons :
« …nous avons repris le chemin de la Plagne allant à la Plaigne et avons trouvé du côté droit de celuy (çi) que la haie
du jardin Jean Bernard vis à vis de la maison du Pasteur qui avance trop sur le chemin »
Ce second presbytère était bâti en haut de la place au contraire du premier.
La place n’était finalement qu’un lambeau oblong de prairie commune, broutée de temps à autre, par un bovidé,
entre l’enceinte du cimetière primitif, l’avant-cour du curé Leroy et les maisons du chemin (dont une grange) qui montait
vers la Plagne.
Sous le régime français, il y eut confiscation de ce presbytère Leroy par la République comme bien national ; mis en vente,
l’acquéreur ne paya point ou s’en désintéressa.
Le bâtiment suite au Concordat (18O9) fut donc remis à la Fabrique d’église, nouvel organisme créé pour gérer
les biens paroissiaux.
D’après l’une des premières cartes cadastrales communales dressées vers 1811, la place se présentait toujours
sous cet aspect, presque totalement occupée par le vieux cimetière, ceinturé par un mur où s’adossait la première
école du village, surmontée, à l’origine, d’un grenier pour les foins communaux.
Ce qui restait d’espace servait cependant pour les fêtes publiques où l’on dansait à même l’herbe au son du violon(5)
Sur concours organisé par la province du Hainaut il fut désigné un instituteur primaire pour la commune le 12 juin 1830,
il s’agissait de Camille Liénard.
En 1836, grâce à un inventaire, nous savons que l’ancien presbytère accolé au cimetière où logeait l’instituteur
avait été acquis par la Commune de Leernes.
Le presbytère était devenu l’école surmontée de la maison commune qui comprenait trois places en très bon état
de réparation.
La chambre commune était composée « d’un bureau avec poële, deux tables dont une couverte d’un tapis de drap vert,
douze chaises recouvertes de jongs (sic), une boîte à deux clefs pour les élections ; d’une chambre d’audience,
avec une table et douze chaises en bois, un tambour de garde civique; il y avait aussi un corps de garde
pour le garde champêtre, avec poële, table, fauteuil et un banc ».
En 1834, au bas de la place, à l’angle de la rue Audent (act. rue A.Berteaux) derrière le maître-autel de l’église,
Aurélie Maindiaux, fit établir la chapelle de Notre-Dame de Grâce qui, possède à elle seule, une petite histoire
sur laquelle nous reviendrons ultérieurement.
Un plan de 1853 nous renseigne sur les trois propriétaires des maisons du bas de la place : Denamur (cabaret)
à l’autre extrémité (coin de la ruelle Dardine) un certain Maquet, entre les deux, Jean-Baptiste Mirgau qui procède
à la reconstruction de la façade de sa maison.
Il y a un puits qui deviendra une pompe publique.
Le grand chambardement vint entre 1860 et 1862, l’administration communale se sentit soudain pleine d’ambition.
Il faut dire que la trésorerie à ce moment se portait à merveille grâce aux recettes de la coupe des bois communaux.
Profitant des travaux du tracé améliorant la voie de grande communication de Fontaine-l’Evêque à Gerpinnes,
l’administration communale, vu une démographie favorable et l’accroissement de la population suite à l’industrialisation
de Fontaine-l’Evêque et de Marchienne-au-Pont, procéda à une impressionnante modification de la place et fit d’un coup
araser l’école dite chambre commune ainsi que le mur d’enclos du cimetière qui datait du XVIIème siècle.
L’architecte Auguste Cador de Charleroi fut chargé d’orchestrer les plans d’un nouvel ensemble tout en brique du pays,
comprenant une Maison communale avec local de garde champêtre et remise pour ranger la pompe à bras d’incendie(6),
la civière et le futur corbillard ; un presbytère, troisième du nom avec en mitoyenneté une maison vicariale avec jardins
et avant-cour « considérant que la commune serait dispensée de payer au vicaire une indemnité de logement s’élevant
à trois cents francs ce qui représente un capital de 6000 francs.
Considérant que dans l’intérêt du service religieux il importe de rapprocher autant que possible le presbytère de l’église
afin de rendre l’Administration des sacrements plus prompte et plus facile. Coût 1.6O4, 52 francs » ;
derrière la Maison communale une Ecole de garçons avec cour, puits, logement avec jardin et serre pour l’instituteur;
contiguë à une Ecole pour filles, avec cour, logement avec jardin pour l’institutrice.(7)
Le cimetière, qui sans doute n’était pas entièrement occupé par les tombes vit son mur démantelé et singulièrement
rétréci pour agrandir la place communale.
Une nouvelle muraille de brique et de pierre de récupération, plus haute et plus géométrique fut reconstruite
depuis l’avant- cour du nouveau presbytère achevant de boucler le côté entre l’église et la Maison communale.
Il a fallu un million de briques pour réaliser l’ensemble.
En 1892, le café de la place, ( Act. Taverne « le Central ») local du jeu de balle était tenu par Aimé Durieux.
Après la première guerre mondiale, un estaminet vit le jour sous le nom de Café Georges Fontignies (Fond de la Place)
qui fut le local des sociétés patriotiques et des Fanfares de Leernes
Il existait encore une petite bonneterie, en face de la boulangerie de Cyrille Bouton.
Cette bonneterie était plutôt une chapellerie tenue par Laure, modiste, fille du garde champêtre Armand Maghe
qui demande le 2 juillet de la même année, d’établir sa vitrine, à la fenêtre de sa chambre, donnant sur la place communale.
Suite aux ordonnances gouvernementales visant à désaffecter les cimetières autour des églises par mesure d’hygiène
(l’arrêté royal du 17 juin 19O2 autorisa cette désaffectation) mais aussi pour améliorer l’alignement de la route
de Fontaine-Gerpinnes, une enquête commodo incommodo fut lancée le 21 avril 19O3.
Un conflit surgit entre l’administration communale et la fabrique d’église.
L’aménagement de la place prévoyait la suppression de l’avant- cour du nouveau presbytère ainsi que son mur
et ses entrées grillagées mais aussi, il fallait entamer la butte sur laquelle s’élevait le chœur de l’église sur 2 m 50 de haut
et 3m 75 de largeur.
On devait donc enlever des terres sur une largeur d’1 m 75 et reconstruire pour la troisième fois l’actuel mur de moellons
en calcaire blanc et joindre le mur du nouveau presbytère.
Pour ce faire, le bourgmestre Emile Marcq trouva une astuce invoquant le danger d’éboulement du mur curial.
Par mesure de sécurité publique il le fit démolir, mettant fin à la polémique (La fabrique argumentait qu’il fallait respecter
le testament du pasteur Le Roy, ainsi que les décrets de la République prouvant, selon l’interprétation qu’elle en faisait,
que le terrain appartenait toujours au presbytère Leroy et qu’il y avait violation de ses droits…)
En 1897, l’école était « une grande pièce, au pied de l’estrade, il y avait la rangée de bancs signifiant
les six années primaires.
Au milieu de la salle, un grand poêle à charbon.
Derrière dans le fond, les bancs dits de l’école gardienne.
Il y avait 40 à 50 enfants. « A quatre ans je savais lire car je préférais écouter Mademoiselle (Aline André) que faire
mes tissages.
J’ai donc fait là toutes mes primaires sautant d’une rangée à l’autre. Avec mon diplôme j’ai reçu un livret
de caisse de retraite avec un montant de trois francs inscrits.
On m’a mis en pension à l’Ecole moyenne de l’Etat à Namur. (C’est à ce moment là que la famille a quitté Leernes
car mon père avait construit une clouterie-tréfilerie à Fontaine-l’Evêque ) « L’Espérance »
A l’examen d’entrée, j’étais calée sur toutes les matières, j’écrivais sans faute
– on m’a fait faire plusieurs dictées pour en être convaincu,
– mais j’ai du doubler ma 6ème primaire parce que je n’avais pas reçu l’instruction réglementaire en …flamand.
Melle André était adorée par les élèves et leurs parents, on se battait pour l’aider après la classe ; laver les tableaux,
balayer la classe et la cour, sarcler le jardin, égrainer le raisin de la serre .
Les distributions de prix étaient toujours très réussies car Melle André trouvait encore le temps de nous apprendre
des chants, des récitations et de nous faire jouer de petites pièces costumées.»(8)
En 1912, le curé Alidor Quinet fit rétablir un petit sentier allant du presbytère au pourtour de l’église.
L’obligation scolaire acquise en 1914, prit surtout ses effets après la guerre, on construisit une école maternelle
sur la gauche de la Maison communale.
En 1922, la mise en place du Monument aux morts de la guerre nécessita l’ouverture du mur de l’église et en 193O,
lors des festivités du centième anniversaire de l’indépendance, on planta l’arbre du Centenaire (En réalité on planta
deux hêtres pour être sûr, a-t-on dit, qu’il y en ait au moins un qui reprenne.)
En 1959, commença la délocalisation du groupe scolaire vers les nouvelles écoles de la rue A. Berteaux.
Vers la même époque, le Bourgmestre R. Degauque fit démolir, toujours pour raison de sécurité, de visibilité
et d’aisance, la chapelle Notre-Dame de Grâce qui n’était plus que ruines.
Il fit également, en 1964, lors de son second mandat, supprimer la vespasienne, enlever les rails du jeu de balle,
fit asphalter et planter d’arbres la place et la doter d’un abri bus et d’une cabine téléphonique (1970)
Le presbytère fut doté d’un garage à la demande de l’abbé Ferdinand Moureau Un ouvrier communal de Forchies,
A.Sampos, occupa la maison vicariale puis le garde champêtre Maurice Gallot et sa femme avant de rester vide.
Les commerces étaient les suivants :la boutique-coiffeur André Carpin, la boucherie Robert Foubert, la Coopérative (socialiste) tenue par l’échevin Delaître, la boulangerie Alphonse Vertommen (successeur Bouton),
l’épicerie Thérèse Baudet, l’épicerie Hellemans, le café Le Central tenu par Monique Deltenre, la boucherie André Simon.
Lors de la fusion des Communes, le dernier Conseil communal de Leernes, attribua de son vivant, à la place communale,
le nom de son dernier Bourgmestre,ce qui est contraire aux recommandations de la Commission de toponymie…
Après un triste abandon qui dura plus de vingt ans, la Maison communale céda sa destinée, après rénovation en 1994,
à la Maison de la Laïcité.
Enfin, on inaugura sur l’emplacement de l’école maternelle transformée en bureau de chômage, le 21 septembre 1997,
la bibliothèque communale du « Jardin aux livres » tandis que la maison vicariale devenait quelques années plus tard
la maison des sans abri du CPAS.
L’installation d’un square au bas de la place (2000) terminait son aménagement quasi définitif pour d’indicibles années.
Deux plaques commémoratives furent placées le 18 septembre 2005 l’une remémorant que deux hêtres furent plantés
sur le parvis de l’église il y a 75 ans, lors du centenaire de la Belgique en présence d’Honorine et de Liliane Pozzo
qui enfants, avaient assisté à leur plantation.

Une seconde plaque honore Richard Gobert-Depry fondateurs de la brocante.
Ces inaugurations marquaient une trilogie de naissance : 125 ans de la Belgique, 25 ans de fédéralisme et 25 ans
de brocante(9)

 

  1. Abbé Soupart, Le doyenné de Binche et ses paroisses au VIIIe siècle. Ed. Guillemin, La Louvière, 1971
  2. Archives paroissiales de l’église Saint-Martin de Leernes, communiquées par Marcel Foubert, fabricien
  3. Archives communales de Leernes, Visite des chemins, 1724
  4. – a. Lamelle trau : les lamelles étaient des pierres bleues et plates qui servaient pour le recouvrement du sol ou pour la margelle d’un bassin de fontaine ou encore pour la confection de dalles funéraires (atelier) (anc.fr.) L’agnia trau (anneau et trou en wallon) était peut-être un anneau qui servait à attacher les chevaux à proximité de la fontaine-abreuvoir. L’anneau était généralement ancré dans un mur proche d’un estaminet. Les deux lieux-dits ont fini par se confondre.
    – b. Sur la carte Ferraris agrandie on peut distinguer un poteau qui pourrait bien être (sans certitude) un tir d’arbalète pour la milice communale « … sur sa maison a la grand rue devant l’église tenant a l’abalestrie et a pierre Bastin… » (ACL, Compte du mambour,1778-1779)
  5. D’après les plans communaux, régime français (AEM) et le plan et coupes de la place de Leernes dressé en 1850 par E. Tirou . (ACL)
  6. La pompe d’incendie, toute cuivrée, en bon état, fut vendue à un collectionneur flamand en 1959.
  7. D’après les registres des délibérations du Conseil communal de Leernes. (ACL, 1860)
  8.  Lettre de Germaine Caderlier à l’auteur.(Germaine Cauderlier : Leernes 1894-Bruxelles 1979) Avec son mari Philippe Walravens, ingénieur des mines, elle fit le tour du monde et séjourna notamment en Chine, sans jamais oublier son village natal.
  9. Deux autres plaques figuraient sur la façade de la Maison communale. L’une émaillée interdisait la mendicité dans la commune, l’autre en marbre blanc reprenait les noms des trois volontaires leernois de la révolution de 1830 qui avaient rejoint ceux de Fontaine-l’Evêque : Adrien Blomme, Hubert Demoulin et Nicolas Jean-Baptiste Durieux. Ces plaques furent chapardées en plein jour peu après la fusion des communes et l’abandon de la Maison communale, sans aucune réaction des autorités (1977)

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait revue N° 6