Le crime de Forchies-la-Marche

Le crime
de Forchies-la-Marche
en 1802

Texte présenté par Michel Madoe

Tiré de « Brigands et larrons dans le départements de Jemappes » par Roger Darquenne.

A l’aube du lundi 15.11.1802, un cadavre est découvert sur le chemin de Fontaine-l’Évêque à Forchies-la-Marche,
près de la chapelle de la Briqueterie, alors vide mais occupée par la suite par une pauvre veuve.
Il s’agit de Martin Fayt, fils de Henri et de Catherine Lebrun, célibataire de 44 ans, cultivateur et mambour des pauvres
à Forchies.
Triste coïncidence, son corps est retrouvé le jour de la Saint Martin, ce que ne manquent pas de souligner les témoins
toujours frappés par de telles corrélations.
Chaque village a ses familles de notables, personnes moyennées sachant un peu lire, manier une plume d’oie et exerçant
dès lors une fonction publique.
Bien sur tout est relatif: il y a une différence sensible de fortune et d’instruction entre les personnalités villageoises
et celles des grandes cités comme Mons et Tournai.
Il n’empêche, à Forchies-Ia-Marche, les Fayt sont des gens en vue. Martin a une sœur, Catherine-Joseph, et un frère,
Joseph, tous deux célibataires. Son beau-frère Antoine-Joseph Lefebvre, 52 ans, exploite le moulin de Forchies.
Auguste Delbruyere, le juge fontainois, et son greffier Louis J. Beliere, procèdent aux premiers devoirs.
Sur l’ordre du magistrat, le chirurgien Adrien-Maurice Clerx et le médecin Antoine Brunebarbe, de Fontaine, confirment
qu’il s’agit d’une mort violente.
La victime a reçu trois coups d’un instrument en fer, peut-être un bâton ferré: au menton ; sur le pariétal droit
avec dilacération des chairs; le troisième, mortel celui-là, a fracturé le pariétal gauche avec un gros hématome sous-duraI.
Les vêtements et effets retrouvés prouvent que le vol n’est pas le mobile.
Ce sont: une chemise ensanglantée; un habit couleur ardoise; un gilet ligné piqué bleu jaune; un chapeau bicorne;
un mouchoir de soie brun; deux bas de laine noire; une paire de souliers; deux boucles d’argent et deux autres en étain;
une tabatière cerclée en corne; un sabot neuf; un petit livre de prières sans doute utilisé la veille à la messe
dominicale; un paquet de tabac en poudre; un morceau de tabac en« role ».
Les « roles », faites de tabac à chiquer cordé, roulé et saucé, ont été en honneur jusqu’entre les deux guerres
spécialement chez les ouvriers mineurs.
Leur usage s’est prolongé parce que les charbonniers ont longtemps cru que la déglutition, et non l’inhalation,
des poussières était nocive.

 

 

Rien n’a donc été dérobé.
L’emploi du temps de la victime est alors reconstitué.
Selon son habitude, Martin Fayt a passé le dimanche
à Fontaine, y a fait des emplettes de tabac et d’un sabot neuf,
a sans doute assisté à la messe puis, vers 16 heures,
il s’est attablé chez la cabaretière Rose Namur, 56 ans,
veuve de Jean-Baptiste Roger.
Avec la tenancière et des membres de sa famille, il a joué
aux cartes jusque 22 heures.
Rose Namur lui a proposé de le loger car les chemins
étaient boueux et pas toujours surs.
Son pressentiment était exact.
Des témoins déclarèrent avoir vu un homme en sarrau bleu
et chapeau rond faire le guet et coller l’oreille à la porte
du cabaret.
Lorsque Fayt se préparait à partir, l’individu s’enfuit en courant, traversa la place et se fondit dans la rue des Religieuses ou
Fayt devait passer.

 

 

 

Le corps est d’abord découvert par Jean-Baptiste-Balthazar Massart, né à Fontaine, demeurant à Forchies ou il est berger chez la veuve Maurage: en se rendant le matin du 15.11.1802, vers 6 h. 30, chez ses parents pour chercher quelques affaires, il l’a bien remarqué mais s’est tu par prudence.
Au bout d’un quart d’heure et d’un rapide déjeuner, il est reparti vers Forchies.
Tout cela paraît suspect. Il est donc le premier à être arrêté. Delbruyere perquisitionne chez ses parents.
Sur le cul du four, dans un tas de linge sale que sa mère Marie-Thérèse Paul s’apprête à laver, le juge découvre
deux chemises, l’une à jabot et une autre, toutes deux tachées de sang.
Le suspect se défend aisément: le sang provient d’un mouton et d’un porc qu’il a tués. Aujourd’hui, on aurait tôt fait
de savoir si c’est du sang animal car, à la différence des globules rouges humains, ceux des animaux sont nucléés.
Mais, en ce temps, cette distinction n’est pas connue.
Les explications du berger paraissent satisfaisantes et il est relâché.
La justice apprend ensuite la vieille inimitié entre Martin Fayt et la famille Maurage.
Célibataire dans la quarantaine, Fayt était un des coqs du village, au propre comme au figuré.
Il avait fait un enfant à Joachime Maurage, fille aînée de feu Vincent et de Jeanne-Joseph Bouton, née à Carnières
et cultivatrice à Forchies.
Le joli cœur avait été forcé de payer la pension alimentaire de son fils naturel.
Lorsque sa maÎtresse lui avait donné un second enfant, il avait persisté dans son refus de l’épouser et de légitimer
les gosses.
Les Maurage en avaient conçu un vif ressentiment. En l’an 9, Jean-Joseph Maurage, un des trois frères de la laissée
pour compte, aidé par Joseph Tison, de Fontaine, avait flanqué une bonne raclée à Fayt, non loin du cabaret
François Lepage, de Forchies.
Selon Lepage, s’il n’était pas intervenu, ils l’auraient peut-être tué.
La justice sait que Tison a purgé une peine de prison pour différents délits.
Les raisons sont donc suffisantes pour lancer les mandats d’arrêt.
Maurage est rapidement appréhendé tandis que Tison est introuvable.
De toute façon, le 20 frimaire an 11 (11.12.1802), le jury carolorégien, présidé par le juge Chaize, décide qu’il n’y a pas
lieu à poursuites.
Le crime reste donc impuni jusqu’à l’arrestation, fin mars 1808, de Mansy qui a été mêlé à l’affaire.
Voici son récit. Son comparse Cyrille Bailly est venu lui annoncer un beau coup à faire à Forchies.
Il y a, dit-il, de l’argent enterré dans un jardin.
Cela suffit à décider Mansy, Rombaux et, d’apres Mansy, Charles Blairon, beau-frère de Rombaux.
Tous quatre partent en expédition. Cerise se munit d’un bâton ferré et d’une baÏonnette pour, dit-il, fouiller le sol
et déterrer l’argent.
Mais Mansy commence à se douter qu’il s’agit d’autre chose lorsqu’ils prennent le chemin de Fontaine dans la soirée
du 23 brumaire an 11 (14.11.1802).

C’est pourquoi, avec Blairon, ils marchent prudemment trente pas derrière Bailly et Rombaux.
Avec Blairon ? Les enquêteurs sont perplexes car ils savent que le personnage est décédé.
Il faut donc vérifier chez Antoine-Joseph Silez, le maire de Haine-Saint-Paul. Silez est plus occupé par ses propres affaires
que par celles de la commune.
Propriétaire de plusieurs platineries à Hourpes, Morlanwelz, Ham-sur-Heure et Haine-Saint-Paul, il ne s’occupe guere
de l’état civil.
C’est pourquoi il demande à Nicolas-Joseph Delatte, curé de Haine-Saint-Paul, de lui fournir une attestation du décès
de Blairon.
Bien que la date fournie par le prêtre soit exacte (10.09.1802 correspondant au 23 fructidor an 10), le juge
Jean-Baptiste Fonson n’est pas satisfait: ce qui compte désormais, c’est l’état civil et non plus les documents paroissiaux.
Silez doit donc fournir les registres originaux.
Le détail est important et Bally l’a bien compris: on ne pourrait sans doute le déclarer complice d’un meurtre accompli par un homme décédé au moment du crime.
Fonson exige donc de Silez la production de pièces authentiques.
A l’exception de ceux de 1806 et 1807, les registres de l’an 9 à 1805 sont en possession de Désiré Boitte, son ancien
adjoint parti habiter une des treize maisons du hameau de Baume à Saint-Vaast.
Le juge tance vertement Silez et le somme de lui apporter sans délai les registres d’état civil. Silez court dare-dare
chez Boitte : la date du décès de Blairo concorde avec celle fournie par le curé. Bailly triomphe et est même relâché.
On réinterroge Mansy qui admet sa confusion, sans doute feinte, avec un Courcellois dont il ignore le nom et qu’on
ne retrouvera jamais.
Dans cette affaire, Silez n’est pas le seul fonctionnaire coupable de négligence. Charles-Joseph Coppée, adjoint au maire
de Haine-Saint-Pierre ou il est venu s’installer comme cultivateur avec sa femme Joséphine Cattier et ses six enfants,
n’a pas dévoilé des faits bien plus graves portés à sa connaissance par Mansy après l’assassinat de Havré Ghislage.
En effet, peu après le double crime, il a rencontré Mansy sur le pont de la Haine. Au premier abord, il ne l’a pas reconnu
mais Mansy l’a interpellé.
Assis sur le pont, ils ont bavardé. Le brigand lui a raconté son évasion et fait certaines confidences: incendie de la meule de froment chez Wespe, coup de fusil tiré sur Adrien Willame, torche enflammée jetée chez Wespe.
Bien entendu Mansy n’a soufflé mot des meurtres des Bienfait et de Wespe.
Fonctionnaire public, Coppée aurait du prévenir la justice. Pourquoi garda-t-il le silence? Par peur?
Peut-être car un des fils Mansy logeait chez lui comme domestique tandis que la femme du forçat y faisait parfois
des journées.
D’autre part Adrien Willame lui devait des sous et aurait même conçu le projet de l’assassiner pour apurer sa dette.
Coppée s’en tira avec une bonne frousse car sa femme et lui durent aller s’expliquer chez Rosier.
Apres l’erreur de Mansy à propos de Blairon, la piste de Tison est reprise. Le 29.12.1808, au cabaret de CharlesTournay,
à Fontaine, Tison est arrêté par le juge Delbruyere accompagné par Edouard Piret, le garde champêtre du lieu.
Tison prend peur et tente de s’évader du cachot de Fontaine simplement fait d’un treillis de bois.
Le juge remar-que qu’il est blessé à la main, le fait fouiller et saisit un couteau caché dans le bas de sa culotte.
Tison s’avère toutefois innocent et est relâché.
Outre Mansy en aveux, il reste donc deux autres suspects: Rombaux et Bailly.
Les présomptions contre Cerise sont d’autant plus lourdes qu’il a été impliqué dans le double meurtre avec vol
des fermiers Saquin, à Braine-le-Comte.
Cette monstrueuse tuerie, jugée le 22.09.1807, a entraîné cinq condamnations à mort, une à 24 ans de fers ; deux
à 20 ans de réclusion en maison de force et huit acquittements dont Bailly.
Cerise a eu tant de démêlés avec la justice qu’il espère encore s’en tirer en brouillant les pistes et en terrorisant
les éventuels témoins.
Il prétend d’abord que le crime a été commandité par un fermier contre 150 couronnes (770 francs) dont cent
lui auraient déjà été versées.
Mais la justice perd son temps, et pour cause, à rechercher ce mystérieux ennemi de Fayt.

 

 

 

Pour faire taire les témoins, il les menace, en cas de déposition
a charge, de les faire tomber comme complices.
Même Jacques Duliere, le garde champêtre de Forchies,
a peur de lui.
Avec son épouse Catherine Delpierre, ils habitent
le même bâtiment que les Bailly:
Ils doivent bien avoir surpris des conversations, observé
des allées et venues mais leur interrogatoire reste muet.
La loi du silence sous la terreur a une fois de plus joué.

 

 

 

Tout cela explique la longueur de l’instruction.
Même après son jugement, Bailly accuse encore Maurage et Tison définitivement innocentés.
Puis, pour retarder l’échéance, il fait porter les soupçons sur le garçon de la ferme de la Ballotte, à Souvret, marié
à la fille Barrez du moulin de Souvret.
Il fait croire a une vengeance des Barrez parce que Fayt avait acheté le moulin qu’ils exploitaient.
En vérité c’est Bailly lui-même qui s’est vengé de Fayt. Son fils aÎné travaillait chez ce dernier et, en déchargeant
des gerbes de froment, il était tombé du chariot et s’était fracturé la cuisse.
Il n’en fallait pas davantage pour susciter sa haine.

Malgré cette bataille de retardement, le tribunal en sait assez pour juger l’affaire les 26 et 27.01.1809.
Après l’audition de 36 témoins, interviennent les plaidoiries.
Mansy n’a plus rien a gagner: il ne demande aucun défenseur mais maître Vincent lui est commis d’office.
De leur côté, Bailly et Rombaux ont choisi maÎtre Thomeret.
Après avoir ouï dans ses moyens le procureur général impérial Rosier, le jury d’accusation, présidé par Léopold Davignon,
marchand à Leuze, se prononce pour la culpabilité.
Dans la soirée du 27.01.1809, les juges Foncez, Fonson et Willems siégeant en robe rouge, assistés par le greffier
Maximilien-Joseph Lebrun, prononcent le verdict:
la mort pour Cyrille Bailly ; acquittement pour Mansy et Rombaux qui est libéré a l’audience. Mais Mansy, qui a déja
joué sa tête, retourne en maison de justice.
Bailly s’est adressé au tribunal de cassation: son pourvoi est rejeté le 16.03.1809. Le 19.04.1809, a midi, sur
la grand-place de Mons, assisté par la confrérie des Beubeus nouvellement rétablie, il passe sous la guillotine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait revue N° 10